C’était il y a trente ans, en 1986, mon diplôme d’architecte sur le thème : Une nouvelle Bibliothèque Nationale.

Le site choisi, l’île Seguin à Boulogne-Billancourt, était encore occupé par les usines Renault : on y fabriquait les dernières 4L.

La Bibliothèque Mitterand n’existait pas, pas même à l’état de projet.

Internet n’existait pas. Seul un réseau informatique entre les grandes bibliothèques internationales leur permettait de connaître leurs catalogues respectifs.

Le numérique était dans l’air : Il n’y aurait bientôt plus de livres. On copierait sur « vidéodisque » tous les livres, toutes les revues.

La question du lieu se posait : A quoi bon financer une grande bibliothèque puisque bientôt on pourrait consulter de chez soi des originaux rares et précieux, qui seraient conservés dans des silos sécurisés ?

Ces millions d’originaux n’étaient alors accessibles qu’à un public restreint de chercheurs. Ils deviendraient accessibles à tous. L’enjeu était la démocratisation de la culture.

La BPI (Bibliothèque Publique du Centre Georges Pompidou) ouverte dix ans plus tôt apportait un début de réponse : L’accès libre aux ouvrages était une révolution, et avec 18 000 entrées par jour, le concept avait fait ses preuves.

Tous les publics s’y côtoyaient, mais les moteurs de recherche n’existaient pas, et toutes les stratégies étaient bonnes pour accéder à l’information… et garder sa place assise ! Certains visiteurs ne faisaient que passer, mais d’autres en faisaient leur lieu de travail, quand d’autres encore y venaient pour l’ambiance, au milieu de ce public de lecteurs silencieux ou murmurants.

La magie du lieu opérait, et signifiait bien qu’il représentait plus qu’un service de prêt.

L’expérience de la BPI venait démontrer comment l’architecture, dans sa programmation et dans sa forme peut porter un sens, une utilité sociale manifeste.

Politiques et architectes trouvaient dans cet exemple la raison de fonder la nouvelle Bibliothèque Nationale, dans un lieu et dans une forme qui, bien au-delà de la fonctionnalité, devrait provoquer l’intérêt du public pour la Culture, et entraîner vers elle une adhésion massive, signe d’élévation de notre Nation.

La Bibliothèque Mitterand créée quelques années après a été critiquée pour ses aberrations techniques : Livres en danger sous le niveau de la Seine ou dans des tours de verre, mais aujourd’hui, elle prouve encore comment l’enjeu de l’architecture est au-delà d’une résolution de problèmes fonctionnels.

Trente ans après, les techniques de communication ont bouleversé le monde, et on peut sourire à l’évocation de ces souvenirs. Pour autant, j’ai gardé en mémoire l’enseignement reçu :

L’architecture est au service de tous, mais réclame des maîtres d’ouvrage et des architectes une attention exigeante aux valeurs qu’elle porte, faute de quoi elle déçoit et divise au lieu d’unir.

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